Exposé concernant l’examen de la lettre de M. de Leibnitz alleguée par M. le Prof. Koenig

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Exposé concernant l’examen de la lettre de M. de Leibnitz, alleguée par M. le Prof. Koenig, dans le mois de mars 1751. Des actes de Leipzig, a l’occasion du principe de la moindre action.
EXPOSÉ
CONCERNANT L’EXAMEN DE LA LETTRE
DE
M. de LEIBNITZ,
alleguée par m. le prof. KOENIG,
DANS LE MOIS DE MARS, 1751.
DES ACTES DE LEIPZIG,
a l'occasion
DU PRINCIPE DE LA MOINDRE ACTION.[1]


M. de Maupertuis, Président de l’Academie Royale, ayant démontré par plusieurs arguments trés convainquans, que non seulement dans l’etat d’équilibre des corps, mais aussi dans les mouvemens produits par des forces quelconques, il y avoit toujours la moindre quantité d’action possible, en sorte qu’on a tout lieu de regarder ce principe de la moindre action comme renfermant la Loi la plus générale de la nature ; M. le Professeur Koenig a fait ses efforts en plusieurs manieres pour détruire cette grande découverte. Premièrement, il n’accorde aucun lieu à ce principe dans l’etat d’équilibre des corps, & prétend qu’on ne doit pas y chercher la minimité d’action, comme il parle, mais qu’il ne s’y trouve que la nullité. Pour cet effet il indique quelques cas dans lesquels il montre que ce qui, suivant ce principe, devroit être un minimum, se réduit réellement à rien: mais cette objection n’est pas de grande importance, puisqu’il est suffisamment reconnu dans le calcul de maximis & minimis, qu’il peut souvent arriver que ce qui est un minimum, évanouïsse entierement. Mais quoique cela puisse avoir lieu dans certains cas, il n’en résulte nullement qu’on doive l’étendre à tous les cas d’équilibre, comme y arrivant toujours nécessairement: tout au contraire, il y a des cas sans nombre dans lesquels cette quantité d’action n’est point nulle, mais se trouve réellement un minimum; ce qui met hors de doute que la Nature a pour but, non la nullité de l’action, mais sa minimité. En effet si nous considérons l’exemple si connu de la courbe appellée Chaînette, où la quantité qui represente l’action totale est réduite à la distance où le centre de gravité de cette courbe est du centre de la Terre, il est manifeste que cette distance n’est point du tout égale à zero, mais que c’est plutôt, & très effectivement, la plus petite possible. Il est bien vrai que la force de gravité, s’il n’y avoit point de résistance, entraîneroit toute cette chaîne au centre de la Terre, & que la chaîne n’auroit point de repos que son centre de gravité ne fût réüni au centre de gravité de la Terre même; mais parce que la chaîne est arrêtée par l’état de suspension, l’effet de la gravité se borne à rendre la distance du centre de gravité de cette chaîne au centre de la Terre la plus petite qui soit possible. Nous ne faisons donc pas difficulté d’accorder à M. Koenig, que la formule qui exprime la quantité d’action, se réduit veritablement à rien, toutes les fois que les circonstances le permettent, cemme cela arrive dans les cas qu’il a produits: mais quand, par obstacles quelconques, cette réduction à rien ne sçauroit avoir lieu, comme nous venons de le voir dans la Chaînette, allors cette formule devient toujours de la moindre valeur; comme si la Nature appliquée à la production de l’effet total, vouloit en approcher, autant qu’il lui est permis de le faire; ce qui suffit pour mettre en evidence, non seulement la verité de ce principe si fecond, mais encore la raison sur quelle il est fondé, & pour détruire entièrement les objection de M. Koenig, qui, bien loin de porter atteinte à ce principe, servent merveilleusement à le confirmer. Car c’est faire une difficulté tout à fait vaine à celui qui établit que la moindre quantité d’action a lieu, que de dire qu’il y a des cas où cette quantité évanouït entièrement: puisque l’action ne sçauroit assurèment devenir moindre que rien. Cependant cette objection seroit de quelque importance, si dans tout état d’équilibre la quantité d’action se réduisoit à rien, & M. Kœnig semble l’insinuer; mais tant s’en faut qu’il l’ait prouvé, qu’il y a tout au contraire une infinité de cas, où il est manifeste que la quantité d’action ne devient point nulle, & qu’elle est seulement la plus petite possible; ce qui a lieu, quand il ne se peut qu’elle devienne absolument nulle. Outre l’exemple de la Chaînette, Mrs. D Bernoulli & Euler ont démontré que les courbes élastiques de tout genre, & les autres figures que prennent les corps fléxibles, lorsqu’étant dans l’equilibre ils sont sollicités par des forces quelconques, peuvent être trouvées par la methode de maximis & minimis, attribuant à la formule qui renferme dans chaque cas la quantité d’action, une valeur qui soit la moindre, mais point du tout nulle.

Pour ce que M. Koenig a avancé dans la même Dissertation contre l’autre partie de cet excellent principe rélative au mouvement, quoiqu’il n’y ait rien qui puisse porter la moindre atteinte à sa verité, cette discussion demande un examen beaucoup plus approfondi. Car ne pouvant ébranler le fonds même de la doctrine, il s’efforce à ôter la gloire de l’invention à M. de Maupertuis pour la donner à M. de Leibnitz, alléguant dans cette vüe un fragment de certaine Lettre, qu’il prétend avoir été écrite autrefois par M. de Leibnitz à M. Hermann, & dont voici les termes.

"L’action n’est point ce que vous pensez, la considération du tems y entre; elle est comme le produit de la masse par le tems, ou du tems par la force vive. J’ai remarqué que dans les
modifications des mouvemens, elle devient ordinairement un maximum ou un minimum. On en peut déduire plusieurs propositions de grande conséquence; elle pourroit servir a déterminer les courbes que décrivent des corps attirés à un ou plusieurs centres. Je voulois traitter de ces choses entr’autres dans la seconde partie de ma Dynamique, que j’ai supprimée; le mauvais accueil que le préjugé a fait à la premiere, m’ayant dégouté?"

Il s’ensuivroit de ce passage, que M. de Leibnitz a eu non seulement une connoissance parfaite de ce principe sublime de la moindre action, mais même qu’il lui étoit si familier, qu’il s’en étoit servi pour déterminer ces lignes courbes, que parcourent les corps attirés, tant par un que par plusieurs centres: ce qui a rendu d’abord ce fragment fort suspect, d’autant plus que la Lettre même de M. de Leibnitz, d’où ce fragment doit être tiré, n’a jamais été renduë publique. En effet il s’agissoit de procurer une conviction entiere, que cette Lettre avoit été effectivement écrite par M. de Leibnitz, en indiquant l’endroit où l’Original existoit: autrement un semblable témoignage ne mérite aucune creance, surtout dans un cas tel que celui-ci, & qui concerne une découverte aussi importante. Ces raisons ont fait juger qu’il étoit d’une nécessité indispensable de s’informer plus exactement des preuves qui pouvoient justifier l’authenticité du fragment cité. Et d’abord, comme on a recherché si soigneusement & publié tant de Lettres de M. de Leibnitz, dans lesquelles on a lieu d’appercevoir & d’admirer ses méditations sublimes en tout genre de science; il ne paroit assurément point du tout vraisemblable que dans un Commerce Epistolaire aussi étendu, M. de Leibnitz ne se soit jamais ouvert à aucun de ses Amis, excepté M. Hermann seul, au sujet de cet admirable principe de la moindre action. On sçait l’étroite familiarité qu’il entretenoit avec le célébre M. Jean Bernoulli, & qu’il lui parloit souvent fort au long dans ses lettres des matieres surtout de la Dynamique. Cependent on ne trouve dans tout ce merce Epistolaire pas le moindre indice, qui puisse faire juger que dans ce tems-là il eut seulement pensé à ce principe, quoique ces Lettres renferment plusieurs discussions sur les forces vives & la véritable estimation de l’action. Quand on pense en particulier, que M. de Leibnitz n’a rien caché à M. Bernoulli de tout ce qui pouvoit confirmer sa nouvelle Théorie des forces vives, & démontrer toute l’etenduë de son usage, on ne sçauroit assurèment imaginer aucune raison, pourquoi dans cette conjoncture il auroit voulu lui faire un secret de cet excellent principe.

Ensuite, pour ce qui regarde cette détermination même des lignes courbes, que dècrivent les corps attirés vers un ou plusieurs centres de forces, la Methode maximorum & minimorum, dont il auroit fallu se servir pour la trouver, n’etoit pas alors assez dévelopée, pour mettre en état, quand même cette quantité d’action qu’il faut rendre la plus petite, auroit été connuë, d’en déduire la nature des courbes décrites. Et quoique la gloire de M. de Leibnitz soit fondée sur plusieurs découvertes du premier ordre, le principe de la moindre action n’est assurèment au desous d’aucune d’entr’elles; & il n’y a pas lieu de croire qu’il l’eût négligé au point de n’en faire part qu’au seul M. Hermann.

Toutes ces considérations affoiblissant déjà beaucoup l’autorité du fragment cité, M. le Président de Maupertuis, qui avoit proposé ce principe comme sien, a crû devoir diligemment rechercher tout ce qui pouvoit servi à la vérification du fait, pour se mettre à l’abri de tout soupçon de plagiat. Car, bien qu’il n’existe aucune trace de ce principe dans tous les Ecrits de M. de Leibnitz qui ont vû le jour jusqu’a présent, il étoit pourtant à propos de prévenir l’accusation calomnieuse qu’on auroit pû former, qu’il avoit tiré son principe de la même Lettre de M. de Leibnitz, que quelque hazard auroit fait tomber entre ses mains. Ainsi personne n’etoit plus intéressé que lui à s’assurer de la vérité de cette Lettre. M. de Maupertuis commença donc par s’adresser à M. Koenig même, qu’il requit amicalement par une Lettre du 28 Mai, 1751. de lui indiquer l’Original de cette Lettre de M. de Leibnitz, & d’en constater l’authenticité. La réponse de M. Koenig ne fut écrite que le 26 Juin. Elle portoit que cette Lettre lui avoit été communiquée par ce fameux Henzi, qui fut décapité à Berne il y a trois ans pour quelques séditions excitées dans l’Etat; & que ledit Henzi, comme étant fort attaché à l’etude, avoit rassemblé plusieurs Lettres anecdotes de Leibnitz, avec d’autres qu’il auroit publiées, si la destinée ne l’en avoit empêché. M. Koenig envoyoit en même tems a M. de Maupertuis une Copie de la Lettre entiere, dont il avoit cité un fragment; elle est datée du 16 Octobre 1707. & les paroles alléguées se trouvent en effet à la fin, mais pourtant avec quelque difference d’expression: car au lieu que dans la citation il y avoit,

"Elle (l’action) est comme le produit de la masse par le tems, ou du tems par la force vive &c."

ce qui renferme une contradiction manifeste, on lit dans la Lettre même ces mots ainsi corrigés :

"Elle est comme le produit de la masse par celui de l’espace & de la vitesse, ou du tems par la force vive, &c."

Difference, qui ne pouvant être rejettée sur une simple faute d’impression, augmente encore considèrablement les soupçons contre ce fragment. Car quand même la Lettre entiere ne pourroit pas être rejettée, il y a tout lieu de croire que quelques phrases, & peut être des periodes entieres, y ont été inferées; & qu’il a falu les corriger, parce qu’on ne les avoit pas d’abord renduës assez assortissantes au Texte. Mais, sans s’arrêter à ce soupçon, il paroissoit facheux que toute l’autorité de ce fragment dépendit du témoignage d’un homme qui avoit perdu la tête; & cela n’etoit pas fort propre à la confirmer. M. de Maupertuis ne crut pas néanmoins devoir s’en tenir à cette réponse; mais comme il n’y a peut-être point de papiers qu’on garde plus soigneusement que ceux qui ont appartenu à des criminels d’Etat, il pria M. le Marquis de Paulmy, Ambassadeur de S. M. T. C. en Suisse, d’interposer son credit pour faire faire à Berne des recherches exactes à ce sujet. Après qu’on eut fait une revuë très attentive des papiers délaissés par Henzi, on n’y trouva non seulement aucunes Lettres de Leibnitz, mais pas la moindre trace même, que Henzi eut jamais eu en son pouvoir quelques unes de ces Lettres.

Le 7 d'Octobre de l’année derniere, M. le Président de Maupertuis fit rapport à l’Académie Royale de ce qui s’etoit passé jusques là, dans l’intention que l’affaire fut traittée dans les formes, & qu’on prit les mesures convenables pour la terminer. L’Académie jugeant aussi-tot; que dans une Question où il s’agissoit de découvertes aussi importantes, il étoit de son devoir de proceder à un examen scrupuleux de ce qui appartenoit au grand Leibnitz, & de ce à quoi ses propres Membres avoient droit, chargea M. Formey, en qualité de Secretaire, d’ecrire à M. Koenig une Lettre, qui fut en effet écrite le surlendemain, pour le requérir encore à l’amiable de confirmer l’authenticité du fragment qu’il avoit allégué, & de produire l’Original de Leibnitz dans l’espace d’un mois. Mais comme M. Koenig avoit déjà visiblement usé de tergiversations dans cette afaire, afin qu’il ne pût prétexter que cette Lettre s’étoit perduë, on l’adressa a M. de Hellen, chargé des affaires de Sa Majesté auprès des Etats Généraux; & on reçut la déclaration de M. de Hellen qui attestoit que la Lettre avoit été remise le 19 Octobre. Le 11 Decembre, comme il y avoit plus d’un mois d’écoulé sans qu’on eut aucune réponse, l’Académie jugea à propos de réïterer la même sommation; & elle eut certitude que M. Koenig l’avoit reçuë avec une Lettre écrite par M. le President, par la même voye, le 6 Janvier de le présente année.

Pendant ce tems là, le Roi, Protecteur de l’Academie, avoit requis lui-même par une Lettre le Magistrat de Berne, de faire cher cher la Lettre susdite de M. de Leibnitz avec tout le soin possible permi les papiers qui avoient appartenu à Henzi. Cette recherche ayant été faite par des personnes auxquelles le Magistrat confia l’autorité requise, la réponse fut, qu’on n’avoit absolument rien trouvé.

Avant que la seconde Lettre de l’Académie à M. Koenig lui fut parvenuë, M. de Maupertuis en reçut une de sa part datée du 10 Decembre, qu’il fit lire dans l’Académie le 23 du même mois. Quoique cette Lettre fut pleine de politesses, M. Koenig etoit si éloigné de produire l’Original de la Lettre de M. de Leibnitz, ou d’indiquer seulement dans quel lieu il existoit; qu’il faisoit plutôt ses efforts pour détourner l’Académie de l’examen de cette Question, & l’impliquer dans d’autres controverses tout à fait étrangeres. Il se plaignoit aussi beaucoup de l’injustice qu’on lui faisoit, en attentant à la liberté dont les Savans ont coutume de jouïr: comme s’il y avoit quelque chose d’injuste à exiger d’un Savant qu’il fournisse les preuves d’une Lettre, qu’il rend publique.

Le même jour M. de Maupertuis lût à l’Académie la réponse qu’il avoit faite à cette Lettre, dans laquelle il faisoit voir que l’Acedémie étoit pleinement en droit, dans de semblables Questions, de s’assurer de l’authenticité d’Ecrits, qui servoient à décider, à qui appartenoit quelque découverte; qu’ainsi on ne faisoit aucun tort à M. Koenig, en exigeant qu’il produisît l’Original de la Lettre de M. de Leibnitz; qu’il ne s’agissoit d’ailleurs d’aucune Controverse, & qu’on ne requéroit autre chose, sinon qu’il constatàt l’autorité de la Lettre qu’il avoit citée: droit qu’on ne sçauroit assurément refuser à aucun particulier dans sa propre cause. M. de Maupertuis donnoit avis dans la même Lettre à M. Koenig des deux recherches qu’on avoit faites en vain à Berne, per ordre du Roi, & de l’Ambassadeur de France. Cette Répose ayant été confirmée par le consentement de toute l’Académie, fut expédiée; & lui parvint le 6 Janvier de cette année, avec la seconde Lettre que l’Académie lui avoit adressée.

Il fit enfin à ces Lettres une Répose en date du 15 Fevrier, dans laquelle, comme dans la précedente, il se plaint amérement de ce qu’on viole à son égard le droit établi entre les Gens de Lettres, en interposant l’autorité de l’Académie dans une Controverse Littéraire: car il dissimule perpétuellement l’état de la Question, & ne répond point directement à la seule chose qu’on lui ait demandée, qui étoit de confirmer l’autorité du fragment qu’il avoit cité, en produisant le Lettre originale de M. de Leibnitz. Il cherche partout des échapatoires; tantôt en disant que ces paroles de Leibnitz n’otent rien à la découverte du principe de la moindre action, que M. de Maupertuis demeure toujours en plein droit de s’attribuër, parce que cette Lettre a été tout a fait inconnuë jusqu’à présent, & que M. de Leibnitz n’a exposé nulle part avec plus d’entenduë ses idées à ce sujet; tantôt en faisant de M. de Leibnitz même un adversaire de cette doctrine, comme s’il avoit eu un tout autre principe dans l’esprit; par où M. Koenig, en révoquant en doute la vérité du principe de M. de Maupertuis, ne cherche qu’à amener toute la question au point qu’on mette à l’écart l’authenticité de la Lettre, pour s’attacher à discuter la verité du principe même. À la fin pourtant il semble venir davantage au fait, en disant qu’il avoit écrit à un Ami, pour le prier de chercher cet Original, & qu’il en attendoit encore la réponse.

Ici il ne faut pas passer sous silence, que M. Koenig, afin de prouver que cette découverte de M. de Leibnitz lui étoit connuë depuis longtems, en appelle dans la même Lettre à sa Harangue inaugurale, où il dit qu’il a désigné cette découverte, en la montrant, pour ainsi dire, du doit. Quoique cette assertion eût besoin d’être pareillement prouvée, & qu’il falût également quelque autorité pour la rendre digne de créance dans la République des Lettres; on ne trouve au fonds, dans l’endroit de sa Harangue que M. Koenig allégue, autre chose, sinon que M. de Leibnitz, las des censures de Juges très iniques, n’avoit pas voulu mettre au jour la seconde Partie de sa Dynamique, au dommage irréparable des sciences; afin que l’ignorance ne regardât pas ses principes comme de monstrueuses chimères. On voit assez combien peu cette suppression a de rapport avec l’affaire présente, où l’on se borne à demander à M. Koenig qu’il justifie le fragment par lui cité, en produisant la Lettre originale.

On a dans le même tems fait encore d’autres recherches à Bâle, où M. Hermann est mort, & ailleurs, pour déterrer les Lettres qu’il avoit reçuës de M. de Leibnitz; & il en résulte assez clairement que ces Lettres sont depuis longtems entre les mains de M. Koenig, & que c’est peine perduë de les chercher en d’autres endroits: ce qui est d’autant plus vraisemblable, qu’on n’a pu les trouver nulle part, & qu’il n’est pourtant pas à présumer qu’elles se soyent perduës.

Le Magistrat de Bâle en étant requis par le Roi a fait examiner avec la derniere attention tous les Ecrits délaissés par seu M. Hermann, & conservés par ses Héritiers. M. Jean Bernoulli, Professeur de Mathematiques, qui a été chargé de cette commission, n’a trouvé que trois Lettres de M. de Leibnitz ou il n’est pas fait la moindre mention du principe de la moindre action.

M. Koenig dit aussi dans une Lettre du 12 Mars qu’il a cherché en vain à Bâle par le moyen d’un Ami cette Lettre de Leibnitz, parmi les papiers délaissés par M. Hermann; & il envoye en même tems la réponse qu’il a reçuë à ce sujet. Il ajoute encore que l’attente de cette réponse est la cause qui l’a obligé à ne toucher jusqu’ici que legèrement à la question principale; mais qu’ayant à présent donné des preuves suffisantes de sa diligence dans la recherche de cet Original, il croit avoir satisfait, autant qu’on peut l’exiger, au desir de l’Académie. Les choses etant telles qu’on vient de les exposer; le fragment étant premierement par lui même suspect, & M. Koenig d’un autre coté, depuis qu’il a été rapporté que l’Original de la Lettre de M. de Leibnitz n’existoit point dans les papiers de Henzi qui a été supplicié, n’ayant point produit cet Original, ni pû, ou osé assigner le lieu où il est conservé; il est assurément manifeste que sa cause est des plus mauvaises, & que ce fragment a été forgé, ou pour faire tort à M. de Maupertuis, ou pour exagérer, comme par une fraude pieuse les loüanges du grand Leibnitz, qui sans contredit n’ont pas besoin de ce secours. Toutes ces considérations duëment pesées, l’Académie ne balancera pas à déclarer ce fragment supposé, & à le dépouïller par cette déclaration publique de toute l’autorité qu’on auroit pû lui attribuër.

PROTOCOLLE
DE L'ASSAMBLÉE DE L'ACADEMIE
du jeudi 13 Avril 1752

PRÉSENS.


Mr. de Keith., Curateur.
Mr. de Redern., Curateur.

Mr. de Marschall., Honoraire.
Mr. de Cagnony., Honoraire.

Mr. Eller., Directeur.
Mr. Heinius., Directeur.
Mr. Euler., Directeur.

Mr. Formey, Secret. perpet.

ORDINAIRES.


M. Pelloutier.
M. Spraegel.
M. M. M. Ludolff.
M. Gleditsch.
M. de Beausobre.
M. Meckel.
M. Sulzer.
M. la Lande, Assoc. ext.
M. Hesse., Etranger.
M. Hirzel., Etranger.


M. Pott.
M. Küster.
M. Becmann.
M. C. L. Ludolff.
M. Kies
M. Merian.

M. le Curateur de Keith a remis à l’Académie la Lettre suivante de M. le Présidente de Maupertuis, dont le Secretaire a fait la lecture.

MONSIEUR,
Comme c’est aujourdhui que l’Académie doit entendre le Mémoire de M. Euler au sujet de la Lettre citée par M. Koenig, & porter son jugement sur cette affaire, j’aurai l’honneur de vous dire, que m’y trouvant impliqué, et ne desirant de M. Koenig aucune réparation, je prie l’Académie de s’en tenir uniquement à la vérification du fait; c’est à dire à juger sur l’authenticité de la Lettre de M. de Leibnitz que M. Koenig a citée. J’ai l’honneur d’être &c.
MAUPERTUIS.

Le Secretaire a mis ensuite sur le Bureau toutes les Pieces qui concernent l’affaire de M. Koenig avec l’Académie; en a donné une récapitulation, & a lu en leur entier quelques Pieces qui n’avoient point encore été communiquées à l’Académie, & qui sont une Lettre de M. Koenig à M. Formey du 15 Fevrier 1752. une Lettre de M. de Maupertuis à M. Koenig du 9 Fevrier 1752. & la Réponse de M. Koenig à cette Lettre, du 12 Mars 1752. à quoi il a joint l’exhibition des derniers témoignages concernant les Lettres de M. de Leibnitz, envoyés à S. M. par MM. les Magistrats de Bâle.

M. le Directeur Euler a lû ensuite un Rapport Latin,[2] où il a allégué toutes les preuves, tant de raisonnement que de fait, qui démontrent que le passage allégué par M. Koenig, comme étant un fragment d’une Lettre de M. de Leibnitz, ne peut être regardé que comme suspect par lui même, & manifestement faux par les circonstances.

Sur quoi, M. le Curateur de Keith ayant recueilli les voix de tous les Membres de l’Académie présens, en demendant à chaque Académician son sentiment, le résultat unanime de la déliberation a été:

Que le passage produit par M. Koenig, dans le Mémoire qu’il a inséré dans les Acta Eruditorum de Leipzig, comme faisant partie d’une Lettre de M. de Leibnitz, ecrite en François a M. Hermann, porte des caractères évidens de fausseté; & ne peut avoir par conséquent aucune ombre d’autorité pour porter atteinte aux légitimes prétentions qu’ont les Membres de l’Académie intéressés dans cette affaire, de revendiquer les principes qu’ils ont proposés comme etant dûs à leur méditation & à leurs recherches, aussi bien que toutes les conséquences qu’ils en ont tirées, tant dans les Mémoires que l’Académie a adoptés, que dans les autres Ouvrages qu’ils ont publiés: Et qu’ainsi les conclusions que M. Euler a tireés à la fin de son Rapport, doivent être censées justes & valables dans toute la force des termes où elles sont exprimées. L’Académie, en considération de la Lettre de M. le Président de Maupertuis luë au commencement de la seance, n’a pas voulu pousser la chose plus loin, & étendre sa déliberation jusqu’au procédé de M. Koenig dans cette occasion, & à la maniere dont elle seroit autorisée à agir rélativement à ce procedé.


KEITH. REDERN.
ELLER. HEINIUS. EULER.
FORMEY. Secr. perp.


  1. On verra aisément par la seule lecture de ce Mémoire, qu’il étoit du nombre de ceux dont la publication ne peut être retardée.
  2. Ce Rapport est la Mémoire qu'on vient de lire traduit en François.

Lien externe[modifier]

Archiv d’Euler, MS E176