Preĝareto por katolikoj (1902)/Préface

El Vikifontaro
Préface

Organe neutre de tous, venant se mettre, non point à la place, mais à côté de nos langues, l'Esperanto ne doit se préoccuper ni des opinions religieuses ou politiques, ni de la couleur des drapeaux.

Lien commun des nations, il ne peut, en vertu de sa nature même, s'inféoder à aucune croyance, à aucun parti, à aucun peuple : c'est le bien de tous. Mais précisément parce que chacun y a droit, nos amis de religion différente ne sauraient s'étonner de ce que, catholique, j'aie pensé à mes coreligionnaires et aie voulu leur donner le moyen de louer Dieu dans cette langue, fille ou sœur des nôtres. lls ne se méprendront pas sur mon but, qui, s'il est de foi, n'est pas d'intolérance. lls comprendront sûrement que, même en écartant toute pensée religieuse (dont certes je ne me défends pas), j'avais, dans les prières quotidiennes, un excellent moyen de propagande qu’il ne fallait pas négliger. Auprès des néo-latins surtout, et des Français en particulier, elles plaideront notre cause d'une manière autrement efficace que ne le feraient les explications les plus claires et les plus chaleureux discours.

La facilité avec laquelle ils suivront ces prières, dont le texte leur est familier, les portera naturellement à faire plus ample connaissance avec une langue qu’ils comprennent si aisément sans l'avoir apprise. Pour beaucoup d’adeptes, elles seront d’ailleurs le meilleur moyen de s’assimiler sans peine les principes de l'Esperanto et un grand nombre de ses mots. Enfin, tous trouveront sans doute quelque plaisir à louer le Seigneur dans cet idiome, où l’harmonie des sons le dispute à la justesse et à la clarté de l'expression, à la souplesse de la forme, à la liberté de l’allure, et à je ne sais quel charme naïf ressuscité des langues antiques.

Les fragments bibliques adjoints aux prières, sublimes prières eux-mêmes, permettront d’apprécier la valeur littéraire de la langue. On y constatera avec quelle aisance et quelle fidélité l'Esperanto rend, dans ses moindres traits, la physionomie de nos textes saints, et cela sans déroger ni ajouter aux seize règles de sa grammaire, sans changer d'un iota la composition de ses mots. « Qui peut le plus, peut le moins. » dit un proverbe. Par conséquent, si la langue arrive à traduire ainsi, mieux que les trois quarts des nôtres, une littérature justement réputée comme la plus difficile à reproduire, on est en droit de conclure qu'elle ne sera pas inférieure pour des œuvres plus faciles à rendre, originales on non.

Du reste, sur ce point comme sur bien d'autres, l’Esperanto a déjà fait ses preuves, et les échantillons littéraires qu’il a fournis et qu’il fournit chaque jour, dans des genres très divers, montrent assez que son extrême simplicité, loin de lui fermer le domaine des lettres, le prédestine au contraire à y exceller[1].

La constitution de la langue se prêtant à l’inversion sans la moindre obscurité possible, nous en avons naturellement profité pour suivre pas à pas notre texte, dans les fragments bibliques surtout. L’ordre des mots influe toujours plus ou moins, en effet, sur le sens d’uu texte; car il est incontestable que certaines constructions ne sont nullement arbitraires ni un pur effet d'euphonie. On doit donc les respecter, dans toute la mesure possible, sous peine de mettre inconsciemment dans l'ombre, ou de nuancer faussement l’idée que l'autour voulait en pleine lumière ou présentait sous tout autre couleur.

Nous avons traduit sur la Vulgate les passages que nous donnons de la Bible. Mais nous nous sommes reporté aux originaux grec et hébreu pour le choix de tel ou tel sens, entre plusieurs possibles, pour le nombre de certains mots, enfin pour l'article que le latin n’a pas.

Si nous suivons jusqu’à l'ordre des mots, nous pratiquons encore plus, dans notre version, le principe d'une littéralité rigoureuse. Nous n'estimons pas qu’un traducteur ait le droit d'altérer en quoi que ce soit la physionomie de son texte, fût-ce pour l’embellir, s'il peut la rendre d’une manière absolument fidèle. Or, avec l'Esperanto c'est un jeu. Cependant, nous n’avons pas cru que cette règle dût s’étendre jusqu’à faire passer dans la langue une image que notre esprit rectifie en français, mais que repousse la logique en Esperanto. Nous ne disons donc pas, dans la prière du soir: « J’ai poussé trop loin ma malice et mon ingratitude. » Nous remplaçons cette métaphore par sa correspondante naturelle : « J’ai laissé trop croître, trop grandir », etc.

Puisse ce tout petit livre, précurseur d’un plus grand de même genre, servir à rendre plus pieux l'hommage journalier de quelqu'un de nos frères envers notre commun Maître et Seigneur! Puisse-t-il aussi coopérer largement à la diffusion de notre chère langue! Volu Dio ĝin benadi!

  1. Cette préface date du mois de mai 1893. Les personnes au courant de la littérature Esperanto peuvent constater que notre jugement n’avait rien d’exagéré. Quant aux nouveaux adeptes, la lecture du seul ouvrage Esperantaj Prozaĵoj les en convaincra certainement.